Stefana McClure
Née en 1959 en Irlande du Nord. Vit et travaille dans l’État de New York, USA.
Stefana McClure pratique un équilibre savant entre luminosité et obstruction pour mieux mettre en évidence ce qu’elle veut révéler. Sur la double page ouverte d’un livre en persan, l’artiste a déposé des perles dans des trous forés dans l’épaisseur des pages. Les perles, considérées notamment comme sources de connaissance en Orient, ne nous donnent pourtant pas accès au texte. Elles l’altèrent tout autant que les trous pratiqués à travers le livre. Mais leur séduction attise notre curiosité. Sous les perles se cache The Wind-Up Doll, de la poète iranienne Forough Farrokhzad (disparue en 1967 à l’âge de 32 ans), qui bouleversa les canons de la poésie persane avec une langue d’une grande modernité. Peut-être la première poète de son pays à exprimer ouvertement des émotions d’un point de vue féminin, féministe engagée, elle souhaitait cependant que sa poésie ne soit pas genrée. Connue pour son indépendance et sa liberté de ton, elle nommait le désir et le plaisir. Sa poésie choquait et enflammait, ce qui lui valut de subir toutes sortes de tourments de la part d’une partie de ses proches et même d’intellectuels, tout en étant révérée, aujourd’hui encore, par un grand nombre d’Iranien·ne·s.
C’est avec humour et impertinence que Stefana McClure revisite l’injonction anglaise “To wear one’s learning lightly” (« porter son savoir avec légèreté », « être une personne bien informée qui ne fait pas étalage de son savoir »).
Elle nous invite à porter sur la tête un de ces filets extensibles en nylon transparent – qui normalement servent à retenir discrètement les cheveux – dans lesquels elle a glissé de minuscules phrases tirées de poèmes et de lettres d’Emily Dickinson. Ces filets littéraires accrochés au mur semblent vous chuchoter à l’oreille que, si vous les portiez, vous seul·e seriez au courant. Summum de l’effacement.
Bien qu’elle ait vécu à l’écart du monde, la poète américaine avait à sa disposition une bibliothèque très riche et très éclectique, dans laquelle elle a énormément puisé. Comme Susan Howe, une autre poète américaine, le dit d’elle, Emily Dickinson « écrivait dans la main de bien d’autres auteurs ». « Usant d’exagérations, d’abréviations, de distorsions, d’amplifications, de soustractions, d’énigmes, d’interrogations, de récritures, elle tira des textes d’autres textes » (Mon Emily Dickinson, 2017, Ypsilon).
L’écriture si originale et passionnée d’Emily Dickinson continue de bousculer notre intelligence et de nous faire puissamment frémir. Les fragments que Stefana McClure a sélectionnés font surgir des images sans image – I could not see to see. Le sens se perd dans le désir de trouver l’image derrière les mots.
Texte: Lucile Bertrand