Lucile Bertrand
Née en 1960 en France. Vit et travaille à Bruxelles.
Les mots ne sont pas neutres et peuvent être porteurs de préjugés positifs comme négatifs. La charge de certains peut aussi varier et se transformer au fil du temps, par glissements successifs ou sous la pression d’événements, politiques ou autres. Dans LTI, la langue du IIIe Reich, Victor Klemperer rendait compte du dévoiement des mots, et donc de la culture, durant le régime nazi.
Devant Question de perspective, on réalise combien, selon l’endroit d’où l’on part, mais surtout, selon celui d’où l’on parle, le langage dédié aux déplacements induit différentes représentations. Des mots et des expressions s’échangent en chemins inversés à travers le détail d’une vue satellitaire en miroir, également inversée : les « Expats » y croisent les « Travailleurs immigrés » tandis que les « Filles au pair » croisent les « Employées de maison »… Certains mots ne seront délestés de leur connotation négative que lorsque les personnes qu’ils représentent seront mieux considérées.
Dans la série perpetratio, il ne reste même plus de mots pour dire l’innommable. Au fil de quinze séquences, des points colorés surgissent en même temps qu’apparaît une image à l’apparence a priori légère et joyeuse. Par leurs changements chromatiques et leurs déplacements sur l’image, qui s’obscurcit progressivement en parallèle, ces points suffisent à exprimer des états et des émotions diverses, de la joie à la peur, de la menace à l’agression et à ce qui en résulte, tout en offrant plusieurs lectures possibles de chacune des séquences comme de leur ensemble. L’image redisparaît peu à peu, ne laissant apparentes que les traces d’un crime advenu mais jamais nommé.
Texte et commissariat de l’exposition « En quelques mots… »: Lucile Bertrand